The Hobbit: An Unexpected Journey
Special Edition

Devenue instantanément culte à sa sortie, la trilogie du Seigneur des Anneaux a bénéficié d'une musique particulièrement soignée de la part de Howard Shore. Aussi, il n'était guère surprenant que le compositeur fasse un come-back à la baguette du prologue qu'est The Hobbit, lui aussi subdivisé en trois épisodes.

Nous débutons donc avec la musique du premier en Special Edition, An Unexpected Journey, qui donne lieu à un très beau boîtier carton façon 'livre ancien'. Une édition dite 'simple', comprenant aussi deux CD, est également sortie mais l'auteur de ces lignes ne s'étant pas penché dessus, il n'en sera fait aucunement mention dans ce qui suit. Notons juste que le contenu (moins de musique) comme la jaquette (en plastique au lieu d'être en carton) sont différents et sûrement moins aboutis.

Le moins que l'on puisse dire en tout cas, c'est que cette Special Edition est visuellement très réussie, surtout avec des illustrations diverses et variées (runes, carte de la Terre du Milieu). Belle, certes, mais fragile et peu pratique : sortir les deux CD qui composent ce ravissant mini-coffret sans les frotter ou les rayer revient en effet à risquer de l'abîmer, digipak oblige... Heureusement, le contenu en vaut la chandelle, et ce malgré l'absence de nouveautés majeures.

En effet, fort de ses succès précédents, Howard Shore n'a pas vraiment changé sa recette miracle et applique l'adage selon lequel c'est dans les vieilles marmites que l'on fait les meilleures soupes. Tout au plus peut-on noter une certaine légèreté dans le ton des morceaux composés, ce qu'il est possible d'attribuer à l'aspect résolument plus simpliste de l'intrigue (treize nains veulent récupérer leur montagne dont s'est emparé un redoutable dragon).

Le film et le double album s'ouvrent avec 'My Dear Frodo', une pièce de huit minutes au cours de laquelle le compositeur expose ses principaux thèmes, à commencer par un rappel de celui de la Comté (0:52). Le vieux Bilbon (toujours interprété par Ian Holm) écrit ses mémoires en s'adressant directement à son neveu Frodon (le héros du Seigneur des Anneaux). A partir de 1:58 est présenté un nouveau et noble thème, celui d'Erebor (le royaume des Nains) qui sera également associé aux interventions de Thorin, le Prince et le chef de la Compagnie des Nains.

Fidèle à lui-même, Howard Shore opte une nouvelle fois pour une approche très thématique et a écrit, comme à son habitude dans le cadre de la Lord Of The Rings Trilogy, sa musique de la même manière qu'un opéra avec beaucoup de leitmotifs, tous attribués soit à un personnage soit à une peuplade soit à une contrée.

A 4:17, c'est le thème menaçant du dragon Smaug qui se fait entendre. Un thème plutôt discret ici compte tenu des très brèves apparitions de ce protagoniste. Ce dernier sera cependant plus important dans le second épisode, The Hobbit : The Desolation Of Smaug et il en ira de même pour son leitmotiv.

La suite de 'My Dear Frodo' est ensuite rythmée par une reprise belliqueuse des thèmes de Smaug et de Thorin qui s'entremêlent pour illustrer leur confrontation, le tout à grand renfort de solennels chœurs masculins.

Après cette entrée en matière plus que bien ficelée, la second piste 'Old Friends' nous ramène en terrain connu avec le désormais familier et rassurant thème de la Comté, une des pièces majeures de la B.O. de The Lord Of The Rings : The Fellowship Of The Ring. Le ton y est cependant beaucoup plus léger, sans doute pour rythmer la joute verbale entre le jeune Bilbon et Gandalf. Cette légèreté de ton se prolonge par ailleurs dans la piste suivante, 'An Unexpected Party', qui accompagne l'arrivée inopinée des treize nains chez le casanier Bilbon dont le garde-manger pourtant bien fourni se fait massacrer. Une ambiance quasi-'disneyesque' d'autant plus forte que la quatrième piste, 'Blunt The Knives', est une chanson scandée par les nains pendant qu'ils font la vaisselle. Cela fonctionne peut-être dans le métrage mais l'intérêt est moindre dans le cadre de l'album.

L'ambiance devient tout de suite plus sérieuse avec 'Axe Or Sword ?' qui débute et se poursuit pour moitié avec le thème de Thorin. A partir de 4:42, un nouveau thème fait son apparition et, compte tenu du fait qu'il fait l'objet d'une piste dédiée intitulée 'A Very Respectable Hobbit' (présente à la fin du deuxième CD en guise de bonus), il y a de fortes raisons de penser qu'il s'agisse du thème du jeune Bilbon, tiraillé entre les gènes des flegmatiques Sacquet (ceux de son père) et ceux des impétueux Touque (le sang de sa mère), ce que Howard Shore a parfaitement su retranscrire avec 'A Very Respectable Hobbit' dont la première partie est calme et rassurante, et la deuxième beaucoup plus vive et enjouée, les deux étant séparées par une rapide reprise du thème de la Comté.

Mais le thème majeur de The Hobbit : An Unexpected Journey, ou du moins celui qui est capable de rivaliser avec le thème phare de The Lord Of The Rings (celui de la Communauté de l'Anneau), c'est celui de 'Misty Moutains', associé à la Compagnie des Nains. Présenté très tôt (dès la première bande-annonce du film en fait), il fait d'abord l'objet d'une piste dédiée. Ou plutôt une chanson dédiée, chantée par les treize nains a cappella. Efficace, solennel, noble. Une vraie réussite même si l'auteur de ces lignes aura une nette préférence pour les reprises instrumentales, relativement peu nombreuses sur le double album ('The World Is Ahead' à 1:28 - 'Over Hill' à 0:00 et à 2:22) alors même que la musique entendue dans le film en possède plus. Ce qui laisse à penser que cette Special Edition n'est pas vraiment complète et ne constitue pas un Complete Recordings à la manière de ceux qui ont été édités pour la musique de The Lord Of The Rings Trilogy (qui comprend pas moins de dix CD !!) ... Notons que la version entendue dans la première bande-annonce ne figure pas non plus sur l'album.

D'un autre côté, ne nous leurrons pas. Si les éditions Complete Recordings de la B.O. du Seigneur des Anneaux sont visuellement de toute beauté et comportent en plus d'un livret explicatif l'intégralité de la musique entendue dans les trois films, certaines pistes en écoute isolée sont parfois bien longues tant elles ne peuvent fonctionner qu'avec les images. La musique de The Hobbit n'échappera pas à ce constat, certains morceaux ou passages n'étant clairement que du remplissage quand ce n'est pas de la pure redite. En même temps, ne pas posséder l'intégralité d'une musique entendue dans un film est quelque chose de frustrant pour un grand fan de B.O. ... ce qui peut sembler paradoxal, il faut l'avouer.

Mais revenons sur The Hobbit 1, et plus particulièrement sur les pistes qui méritent le coup d'oreille. Tel est le cas de 'Radagast The Brown', un magicien très attaché à la nature dont le leitmotiv se compose de chœurs enfantins et de cordes vives. Un morceau assez réussi et enchanteur.

Dans le même registre, citons 'The Trollshaws, 'Roast Mutton' et 'A Troll-Hoard' qui accompagnent la séquence des trolls. Ambiance plutôt naïve pour une scène au final assez drôle bien qu'elle tranche radicalement avec le ton épique que Peter Jackson a voulu conférer à sa trilogie du Hobbit. En effet, si le livre éponyme s'apparente plus à un conte pour enfants, le cinéaste a voulu en faire une épopée dans la même veine que Le Seigneur des Anneaux. Or, on sent clairement qu'il n'est pas allé au bout de ses idées dans ce premier épisode. Si La Désolation de Smaug contient le souffle épique voulu, Le Voyage Inattendu se retrouve (pardonnez l'expression) le cul entre deux chaises, et cela se sent fortement dans le cadre de la musique qui ne fait qu'adopter le même parti pris bancal.

Cela ne vaut cependant que pour le premier CD. Le deuxième revient à des choses plus sérieuses et à des thèmes déjà connus comme celui de Fondcombe (1:00 de 'The Hidden Valley') mais aussi (et surtout) celui, plus entêtant, de l'Anneau (0:15 et 2:34 de 'Riddles In The Dark'). En effet, c'est lors de ce périple que Bilbon va rencontrer Gollum et trouver l'artéfact tant convoité, ce qui déclenchera les évènement du Seigneur des Anneaux.

Seulement voilà : le film est long et les pistes le sont également (elles sont nombreuses à durer plus de cinq minutes). Le sentiment de remplissage est évident. Toutefois, cela ne remet pas en cause la grande qualité de l'ensemble. Seulement le rythme. Des coupes auraient été les bienvenues, surtout que certains passages sont tout simplement magnifiques. En témoigne le petit morceau perdu dans les quelques sept et interminables minutes de 'Brass Buttons' (de 5:49 à 6:29) ! Ou encore la sublime première minute de 'A Good Omen' (ces chœurs !).

Au final, que retenir de la B.O. de The Hobbit : An Unexpected Journey ? Peu de réelles surprises à l'exception de nouveaux thèmes très intéressants ('Misty Mountains' !) et Howard Shore est toujours aussi appliqué (ce qui ne déplaira pas, loin de là). Le compositeur ne se repose pas sur ses lauriers et livre sans conteste ce qui a été l'une des meilleures musiques de film de 2012, ainsi que l'une des plus attendues. La suite ne peut être que du même acabit.